On a parfois reproché à Jacques Chirac de n’avoir pas constitué un gouvernement d’union nationale en 2002, alors qu’il venait d’être réélu par plus de 82% des Français. Dans ses Mémoires, lui-même le regrette, sachant que de nombreux Français l’espéraient.
A l’époque, sa position n’en était pas moins justifiée par de très fortes raisons : après cinq années de cohabitation, il s’agissait de rétablir une démocratie
normale, régulée par l’alternance. Or, quand la confusion se crée entre la droite, le centre et la gauche, il n’y a plus d’opposition que dans les extrêmes et les adversaires du «
système » prospèrent sur le dos des formations républicaines.
L’Union nationale ne se justifie donc que par exception, lorsqu’il s’agit de se rassembler pour relever des défis historiques.
Ce fut le cas en 1914 et en 1939, puis en 1958 après le putsch d’Alger.
Pourquoi pas en 2012?
En 2002, le Front National était plus fort qu’il ne l’avait jamais été. Ce n’était vraiment pas le moment d’en faire la seule force d’opposition au Gouvernement. Ni le
séisme du 21 avril ni les circonstances économiques, sociales, européennes et internationales n’imposaient alors un gouvernement d’union nationale.
Aujourd’hui, les circonstances sont radicalement différentes et les périls sont autrement plus menaçants, sur le plan économique et social comme sur le plan
extérieur.
Après la crise de 2008, notre pays a évité une profonde récession, mais il l’a fait au prix d’une telle aggravation de nos déficits que nous ne pourrions plus faire la même chose
en cas de rechute de notre économie. Nous sommes tenus -et pour longtemps- d’appliquer une politique d’austérité. Quel que soit le vainqueur de 2012, un grand nombre de
Français sera appelé à faire des sacrifices. Pour être admis alors que la colère gronde, ces sacrifices devront être dosés avec discernement et répartis équitablement.
S’ils étaient excessifs, le pouvoir d’achat s’écroulerait, ce qui pourrait conduire à une récession d’une ampleur inconnue. Pour que les Français ne se dérobent
pas devant l’effort, il faudra restaurer le sentiment de la justice sociale. Seul un large accord républicain permettra de créer un consensus garant de
la continuité de l'effort. Pour réussir, le vainqueur de 2012 devra rechercher cet accord en veillant à unir les Français plutôt qu’à les diviser.
Le contexte européen impose plus fortement encore cette union des Français. L’Europe est de guingois ; il faut la remettre d’aplomb. Si nous ne faisons pas rapidement un
grand bond en avant vers le fédéralisme, nous vivrons au bord du gouffre, d’infarctus grecs en pas de danse franco-allemands
et, bientôt, l’Europe sombrera. Il ne doit plus y avoir de querelles d’arrière-garde sur ce sujet crucial.
L’Europe est riche, plus qu’aucun autre continent. Elle a de quoi payer sa dette. Les attaques des marchés résultent d’un doute profond sur la volonté
politique des Européens de défendre quoi qu’il arrive la zone euro. C’est cette incertitude plus encore que le montant de nos dettes qui crée l’insécurité sur les marchés
financiers.
Certains se résignent à la fin de l’euro. D’autres l’appellent même de leurs vœux. Ce sont des imposteurs. La sortie de l’euro, ce serait le chacun pour soi, la
guerre économique entre pays européens, la négociation en ordre dispersé avec des puissances de plus d’un milliard d’habitants (la Chine, l’Inde), l’impossibilité d’être forts
face au reste du monde. C’est la recette de l’appauvrissement, celui de tous nos pays collectivement, celui de chaque Européen individuellement. Près d’un tiers des
Français travaillent directement ou indirectement pour l’international. Notre pays exporte massivement ses productions agro-alimentaires, sa destination touristique, ses services, ses
hautes technologies. Il a un besoin vital de s’intégrer au reste du monde pour défendre ses emplois. Sans les exportations, sans les importations dont nous dépendons, nous sommes
perdus ! L’explosion de la zone euro nous marginaliserait. Ce serait une catastrophe insurmontable. Nous ne pourrons faire du surplace très longtemps en colmatant toutes les
trois semaines une nouvelle brèche dans la zone euro. L’épreuve de vérité approche. Le choix est simple : une Europe politique s’exprimant avec autorité face au reste du monde ou de
vieilles nations égoïstes et nostalgiques courant en ordre dispersé vers leur déclin. Il n’y a pas de solution intermédiaire.
Jamais une élection présidentielle n’aura été organisée dans un contexte aussi mouvant et un environnement aussi lourd de risques. Ces circonstance tout à fait exceptionnelles
appellent un sursaut national lui aussi exceptionnel. Pour tenir un cap ambitieux, le Gouvernement qui sortira des urnes l’an prochain aura besoin d’une très large assise
politique. Un pacte de gouvernement entre forces républicaines permettrait de mettre en œuvre un projet national courageux et audacieux. Il devrait porter sur une
période suffisante, par exemple trente mois. Nous devons demander que chacun des candidats s’engage à rechercher loyalement un tel accord, pour le valider lors des élections
législatives de juin.
Demain, ce n’est pas d’ouverture dont la France aura besoin, mais d’union nationale.